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Arbre parmi les arbres – Armand Gatti 1924/2017

© Christian Serrano

Armand Gatti – Dante Sauveur Gatti de son véritable nom – a déserté la planète le 6 avril 2017 après une vie artistique chargée et engagée. Résister est un des mots qui peut le résumer, mais peut-on résumer un homme de neuf et trois ans semblable à ce 9/3 où était domiciliée La Parole Errante créée en 1986 à Montreuil-sous-Bois à laquelle s’est agrégée en 1998, La Maison de l’Arbre qui fut son emblème, son bouclier, sa marque de fabrique, son cri ?

Journaliste et poète, réalisateur, metteur en scène et dramaturge, Gatti est de toutes les formes d’écriture, celles qui manifestent surtout. Il dénonce la guerre du Vietnam, les inégalités sociales, les mensonges et les injustices, les totalitarismes. Né à Monaco le 26 janvier 1924, issu d’une famille d’immigrés de milieu pauvre – son père est balayeur, sa mère femme de ménage – son parcours s’inscrit du côté des pauvres. « Dans le camp des pauvres j’ai toujours eu avec moi l’idée du combat » dit-il. Il rend hommage à son père en écrivant La vie de l’éboueur Auguste Geai, en 1959 que Jacques Rosner met en scène trois ans plus tard avec la compagnie du théâtre de Villeurbanne, dirigée par Roger Planchon et Roger Gilbert.

Résistant pendant la guerre, puis reporter après la guerre, il couvre les luttes ouvrières en France et voyage dans le monde entier, notamment en Russie, en Chine, en Amérique Latine où il dénonce les dictatures militaires. Son combat passe par les mots. Le Prix Albert Londres lui est décerné en 1954 pour une enquête qu’il a menée, Envoyé spécial dans la cage aux fauves, pour laquelle il a  appris le métier de dompteur. Après cette période intense de journalisme, il se dédie à l’écriture théâtrale. En 1958, Le Poisson noir, sa première pièce publiée, parle de la naissance d’une Nation, la Chine et se fait l’écho de sa rencontre avec Mao Zedong. D’importantes rencontres ponctuent son parcours : avec le compositeur Pierre Boulez en 1948, avec Kateb Yacine, écrivain et dramaturge algérien, en 1951, avec l’écrivain Joseph Kessel en 1956, avec Henri Michaux. Esotérique par certains côtés, il se plonge dans les grandes mythologies aztèques, les légendes celtiques, côtoie Saint François d’Assise et comme lui, parle avec les arbres et les oiseaux. A chaque martyr politique, un arbre.

Son film, L’Enclos, dont il écrit le scénario et les dialogues avec Pierre Joffroy son ami de toujours est primé à Cannes en 1961. Il témoigne de sa déportation, en 1943, après son arrestation par les Groupes mobiles de réserve, autrement dit les français pétainistes qui le déportèrent dans un camp de travail allemand.

Le Crapaud-Buffle est sa première pièce jouée, en 1959, et la première montrée dans la nouvelle salle du TNP, le théâtre Récamier. Elle traite « à travers l’histoire d’une république hypothétique d’Amérique du Sud, de sa vie sociale et politique, des rapports entre le chef de l’Etat et cette société. » La mise en scène est signée Jean Vilar. Suit en 1965 La Passion du Général Franco d’abord éditée sous le titre La Passion en violet, jaune et rouge qui est retirée de l’affiche le 19 décembre pendant les répétitions, sur ordre du gouvernement français à la demande du gouvernement espagnol. Gatti est porté par un comité de soutien regroupant un grand nombre de personnalités du monde culturel et artistique, mais n’obtient pas gain de cause. Il s’exilera, quelque temps plus tard, en Allemagne. En 1966, il crée deux pièces : en janvier, au TNP-Palais de Chaillot, Chant public devant deux chaises électriques, pièce pour soixante-neuf acteurs autour de l’exécution aux Etats-Unis en 1927 de deux émigrés italiens, Sacco et Vanzetti, après une longue controverse, et en mai, à Saint-Etienne, Un Homme seul. A la demande du Collectif intersyndical d’action pour la paix au Vietnam, il écrit en 1967, un texte sur la guerre : V comme Vietnam qu’il met en scène au Théâtre Daniel-Sorano, de Toulouse. En 1968, sa pièce, La Naissance, est jouée au théâtre de la Fenice, dans le cadre de la Biennale de Venise, dans une mise en scène de Roland Monod.

La même année, à la demande de Guy Rétoré directeur du Théâtre de l’Est Parisien, Emile Copfermann, écrivain et critique théâtral réunit des habitants du 20ème arrondissement de Paris autour de Gatti. Par leurs témoignages et leur imagination, une pièce sur les transformations urbaines du quartier s’écrit. Ainsi naît son texte Les Treize Soleils de la rue Saint-Blaise, que Rétoré met en scène et qui est présenté au TEP. En 1971, Gatti se plonge dans la révolte spartakiste de Berlin et l’histoire de la révolutionnaire Rosa Luxemburg, assassinée en 1919, son corps jeté à la rivière. Il lui consacre une pièce, Rosa Collective.

De retour d’Irlande, en 1982 il publie Le Labyrinthe, après le tournage d’un film sur les prisonniers politiques d’Irlande du Nord morts de leur grève de la faim – dont Bobby Sands. Gatti tient à rendre compte à travers la pièce de ce qu’ont vécu ces prisonniers. Il fait du théâtre dans les prisons avec les détenus pour leur redonner dignité et identité et présente en 1989 Les combats du jour et de la nuit, à Fleury-Mérogis. En 1996, L’Enfant-Rat est invité au Festival des Francophonies en Limousin, dans une mise en scène d’Hélène Châtelain. Ecrite en 1959, la pièce fait ressurgir les fantômes du camp de déportation dans la vie de cinq rescapés, réunis par une photo et par leurs souvenirs, obsédants.

La liste est longue des pièces écrites, publiées et jouées, toujours engagées, sans compter les textes d’une autre nature que sont les articles, poèmes et manifestes. « Le théâtre pour construire demain et refléter aujourd’hui » disait-il, théâtre indissociable de ses prises de position et de ses révoltes. Il fut aussi un fervent scientifique et un passionné de mathématiques, à sa manière, admirateur de la théorie des Quanta. En 1994/95, Gatti écrit Kepler, le langage nécessaire, autour de l’astronome Johannes Kepler, pièce intitulée Nous avons l’art, afin de ne pas mourir de la vérité. Frédéric Nietzsche quand elle fut créée à Strasbourg, dans une mise en scène de l’auteur, à partir d’un travail mené avec quatre-vingts stagiaires en situation d’exclusion – chômeurs, anciens drogués, anciens prisonniers – que Gatti appelait ses loulous. En1998 fut présentée une première version de Les Oscillations de Pythagore en quête du masque de Dionysos, puis une seconde version en 2006, qu’il mit en scène avec une trentaine d’étudiants français et étranger. La pièce fut jouée dans les anciennes cuisines de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard. En 1998/99, sa pièce intitulée Incertitudes de Werner Heisenberg : feuilles de brouillon pour recueillir les larmes des cathédrales  dans la tempête et dire Jean Cavaillès sur une aire de jeu qui fait partie de la série La Traversée des langages regroupant quatorze pièces – fut créée à Genève, dans le cadre d’un stage d’insertion.

22 octobre 1941, ce que chantent les arbres de Montreuil – 22 octobre 2000 est un hommage aux vingt-sept otages fusillés, à Châteaubriant, dont Guy Môquet, « car chaque fois qu’un résistant était fusillé je faisais un poème… j’allais les mettre sur les arbres, c’était ça mon combat… »

La Parole errante, Centre international de création, un lieu rare et exigeant, modeste et vibrant, regroupe autour d’Armand Gatti, une réalisatrice, Hélène Châtelain, un réalisateur, Stéphane Gatti, un producteur, Jean-Jacques Hocquard, qui travaillent ensemble depuis plus de trente-cinq ans. Deux ouvrages flamboyants témoignent de leur engagement : La Parole Errante, publié en 1999 aux éditions Verdier, avec 1760 pages, et lintense Révolution culturelle nous voilà ! publié en une première version en 2008, puis en sa version longue de 1295 pages en 2011, parcours poétique et politique d’Armand Gatti qui fait aussi partie de La Traversée des langages.

Un homme de l’échange et de la participation, un engagé, un enragé, un généreux qui savait prendre des risques, un grand poète, nous a quittés.

Brigitte Rémer, le 16 avril 2017

Site de la documentation de La Parole errante – Fonds documentaire Armand Gatti –www.archives-gatti.org